La RSE, levier de performance dans l’entreprise
Table ronde organisée par les Arts et Métiers, juin 2017
Les 13 premières minutes de la table ronde sont retranscrites
Fabien CLAIRE, Journaliste RH : Deuxième séquence, la RSE, levier de performance dans l’entreprise. J’invite à nous rejoindre Emmanuelle Jardat et Pablo Santamaria. Ils seront accompagnés pour les interviewer de Manon Lévy et de Corentin Lallet.
Bienvenue à vous.
Chère Emmanuelle Jardat, vous êtes directrice de l’innovation d’une grande entreprise. Acceptez-vous de dire laquelle ?
Emmanuelle JARDAT : oui.
Fabien CLAIRE : C’est le Groupe Orange qui est effectivement un très grand groupe. Vous partagerez avec nous, non pas des certitudes, mais de l’engagement, des incertitudes. Nous sentons une certaine modestie dans l’approche, ce qui est intéressant.
Pablo Santamaria, vous n’êtes pas issu de cette école, mais d’une école pas lointaine. Vous êtes ingénieur centralien de formation. Vous êtes président de Centrale Ethique. Vous êtes également président de l’association Diag26000 dont nous parlerons et vous dirigez une entreprise qui s’appelle Formitel. Vous êtes très engagé sur ces sujets.
J’en profite pour excuser l’absence de Pierre-Alexandre Teulié qui est directeur général en charge de la communication, de l’e-business et de la RSE du Groupe Nestlé. Il vous présente ses excuses, c’est une urgence de dernière minute.
Deux étudiants. Manon Lévy, vous êtes étudiante de la filière environnement de l’EPF. Vous êtes aussi très engagée dans la vie associative. Vous avez notamment organisé un congrès sur l’innovation pour le futur sur le plan environnemental au sein de votre école.
Corentin Lallet, vous êtes étudiant en troisième année de cette maison, les Arts et Métiers. Vous êtes également chez Airbus Helicopters, vous travaillez sur la gestion des risques pour un nouveau programme du constructeur. Corentin, vous avez travaillé en amont sur l’histoire de la RSE. Vous avez eu une démarche de préparation, d’engagement, dont nous allons parler. Vous avez essayé de comprendre l’origine de la démarche, de son émergence. Dites-nous, en quelques minutes, le fruit de vos recherches pour que nous soyons tous à votre niveau sur le sujet.
Corentin LALLET : Bonjour à tous. Quand nous avons préparé cette conférence tous ensemble, j’ai regardé RSE et, pour être honnête, je ne savais pas du tout ce que c’était, alors que nous la côtoyons tous les jours. RSE, c’est le sigle qui veut dire Responsabilité Sociale, ou Sociétale – cela dépend des papiers que l’on a entre les mains – des Entreprises.
Historiquement, ce n’est pas très ancien. C’est un enjeu, un constat. La RSE, c’est l’impact que va avoir une entreprise sur la société, de manière très diverse. Officiellement, il existe maintenant une norme qui décrit cette politique. Je pense qu’elle sera évoquée lors de cette table ronde. C’est la norme ISO 26000. C’est une norme internationale qui n’est pas certifiante. On ne certifie pas une entreprise ISO 26000, mais on l’évalue par rapport à des critères.
Parmi ces critères, on retrouve la gouvernance de l’organisation, les droits de l’Homme, l’environnement, la loyauté des pratiques, les consommateurs, les communautés et même le développement local. Voilà rapidement ce qu’est la RSE.
Fabien CLAIRE : Merci beaucoup, Corentin. Faisons un premier tour de table, si vous le voulez bien. Vous posez comme une affirmation : la RSE comme levier de performance. Est-ce une évidence ? La RSE est-elle, par essence, un levier de performance ?
Qui veut commencer ? Qui veut réagir ?
Emmanuelle JARDAT : Je veux bien. Cela fait quatre ans que je cherche à ce que cela le soit. Pour moi, ce n’est pas du tout évident que la RSE soit un levier de performance, même si cela serait vraiment super que cela le soit. Quand on commence à travailler dans la RSE, on fait ce que l’on appelle des dialogues de parties prenantes. On va rencontrer toutes les parties prenantes, les parties prenantes business, les clients, les fournisseurs, la société civile, des blogueurs, des ministères et tout ce qui est peut-être social au sens de salarié.
Lorsque j’ai fait ces premiers dialogues parties prenantes, j’ai rencontré en tête à tête 150 personnes et deux m’ont dit qu’elles choisiraient un fournisseur plus responsable même s’il était plus cher. Cela ne fait que deux.
Fabien CLAIRE : Quelle nature d’acteurs ?
Emmanuelle JARDAT : Je peux les citer, c’étaient l’Université de Lille 2 et Bio Nature qui fabrique des thés et des gâteaux bio.
Fabien CLAIRE : C’est dans leur code génétique. Manon, la RSE est-elle forcément un levier de performance ? Comment abordez-vous le sujet ?
Manon LEVY : Je ne pense pas que cela soit un frein à la performance. Lors de mes petites expériences professionnelles – si je peux dire cela, vu que je suis encore étudiante – j’ai eu l’occasion de faire des stages et j’ai aussi quelques exemples plutôt positifs dans mon entourage en matière de politique d’application de la RSE.
Fabien CLAIRE : D’entrepreneurs très engagés sur la RSE, et distingués pour cela.
Manon LEVY : Voilà, donc mon père. C’est un bon exemple pour moi dans ce cadre-là, et non pas juste parce que c’est mon père. C’est un chef d’entreprise de PME.
Fabien CLAIRE : En très fort développement, pour le coup je suis allé regarder un peu l’histoire.
Manon LEVY : Oui. C’est bientôt la fin pour lui, dans cette entreprise je veux dire. Il a, très tôt, compris que prendre en compte son environnement tant social qu’économique servait son entreprise. Les années l’ont prouvé. Au début, personne n’y croyait vraiment, tant dans ses fournisseurs que dans ses clients, mais finalement l’application de cette stratégie a fructifié sur le long terme.
Si on pense sur le court terme, nous ne voyons pas tout de suite les avantages, mais si on pense sur le long terme, cela permet de promouvoir le commerce local, les circuits courts, l’utilisation de matières renouvelables. Certaines matières sont peut-être plus performantes dans un premier temps, mais sur le long terme, elles risquent de s’épuiser et il faudra trouver une solution à un moment ou à un autre. Je pense que tout cela est la RSE.
Fabien CLAIRE : En filigrane, cela veut dire qu’il n’y a point de salut hors RSE, nous serons obligé d’y venir.
Manon LEVY : C’est ce que je pense en tout cas, et c’est aussi ce que j’apprends dans ma formation.
Fabien CLAIRE : Voilà une conviction profonde. Cher Pablo Santamaria.
Pablo SANTAMARIA : Il y a quand même un grand risque d’imaginer que parce que nous faisons de la RSE, la performance va, tout d’un coup, exploser. Il ne faut surtout pas tomber dans ce biais. Nous nous demandions, lors de la précédente table ronde, comment trouver des raisons, des méthodes pour travailler sur autre chose que sur du financier. La RSE est très proche de cela.
Vous avez évoqué le fait de redonner du sens à l’entreprise. Quelqu’un a d’ailleurs dit, la semaine dernière, dans les Échos que RSE pouvait signifier Redonner du Sens à l’Entreprise. Nous sommes vraiment dans ce sujet.
Je pense que dans vos écoles, on doit vous parler d’autres stratégies pour essayer de faire bouger les choses. Quand je suis entré dans le monde du travail dans les années 1980, il y avait la démarche qualité totale. Il n’y avait pas encore autant d’outils informatiques qui écrasaient l’aspect humain, mais la démarche qualité totale était aussi une manière de prendre en compte le long terme.
Il y a eu ensuite toutes les modes de Lean dont on a dû vous parler. Assez fréquemment, les ingénieurs vont chercher des méthodes pour faire bouger les choses, structurer leur business et gagner en performance. Le gros intérêt de la RSE est qu’elle amène à la fois sur le long terme et sur un ensemble de parties prenantes auxquelles nous ne pensons pas forcément quand nous ne regardons qu’à l’intérieur.
Fabien CLAIRE : Votre parallèle avec la qualité totale est intéressant. On dit même que dans le vocabulaire, nous y retrouvons beaucoup de points communs.
Pablo SANTAMARIA : On retrouve, en effet, de nombreux points communs. Si nous regardons ce qui s’est passé sur notre planète, il y a eu la qualité totale sans l’informatique, sans norme ISO 9000, et on demandait d’abord aux hommes de travailler entre eux. Il y a peut-être des gens de l’AFNOR dans la salle. Les normes font de temps en temps du bien, mais à d’autres moments, elles écrasent un peu trop.
A l’époque de la qualité totale, nous apprenions d’abord à résoudre nos problèmes. Nous engagions les directions générales en commençant par chiffrer la non-qualité que nous pouvions gagner. Avec la façon dont le Lean est implémenté dans les entreprises, l’arrivée des normes, d’Excel et du reporting à outrance qui peut faire beaucoup de dégâts, nous avons eu l’impression que nous oublions l’humain et que nous sommes beaucoup trop sur les normes et les outils.
Avec la RSE, nous revenons sur quelque chose qui est moins certifiable, et plus cerveau gauche.
Fabien CLAIRE : Manon, je sais que vous avez une question et une sensibilité toute particulière sur les écosystèmes, et la capacité d’appropriation de la démarche.
Manon LEVY : Si nous parlons d’industrie, nous ne parlons pas uniquement de très grosses entreprises ou de grosses entreprises, mais aussi de plus petits acteurs, des PME ou des TPE. Tout cela est un réseau capillaire. Tout le monde fonctionne ensemble. Si un ne fonctionne pas, en général cela remonte assez vite.
Je me demande comment nous pouvons appliquer la RSE à toutes les échelles, et notamment à de plus petites échelles. Nous parlions avant des grands groupes qui réussissent à appliquer l’éthique à tous les échelons de l’entreprise, mais les plus petites structures, qui n’ont pas forcément les moyens d’avoir un pôle RSE ou un responsable RSE, peuvent-elles appliquer la RSE correctement ? Si oui, comment ? Si non, pourquoi ?
Fabien CLAIRE : Votre avis, chère Emmanuelle.
Emmanuelle JARDAT : Il y a un principe dans la responsabilité, c’est celui de travailler sur toute la chaîne amont et aval, afin de faire en sorte que l’entreprise s’assure que ses fournisseurs soient eux-mêmes responsables. Nous leur demandons de s’assurer à leur tour qu’ils soient responsables, de signer des chartes globales sur toute la chaîne.
L’ISO 26000 était, au départ, une norme pour les entreprises cotées. Depuis le décret de 2014, elle est descendue à toutes les entreprises qui font 100 millions d’euros de chiffre d’affaires et ont plus de 500 salariés, ce qui fait à peu près 2 600 entreprises en France.
Fabien CLAIRE : Ce sont quand même de belles ETI !
Emmanuelle JARDAT : Voilà, c’est cela. Ces entreprises ont des obligations de donner des chiffres dans leur rapport RSE, de l’information, mais elles n’ont pas l’obligation d’être meilleures que l’année d’avant ou de fournir des informations supérieures, ou au moins égales, à une certaine norme. Cela n’existe pas.
Fabien CLAIRE : Comment, en tant que commanditaire ou donneur d’ordre, est-il possible de jouer un rôle de contamination vertueux, ou pas, sur son écosystème ?
Emmanuelle JARDAT : Toutes ces histoires de norme sont tellement complexes qu’il est difficile de demander à de petites entreprises de remplir tous les critères. Elles vont passer trois mois à remplir tous les critères de manière administrative plutôt qu’à faire le produit ou le service attendu. Cela peut être totalement mortel.
Ce sont donc plutôt des chartes d’engagement. Nous essayons de mettre en lumière des start-ups qui pourraient être dans l’économie sociale et solidaire, innovantes, exemplaires.